LA JOURNÉE DE VILLE-ÉVRARD

L’axe principal de la Section clinique Paris-Ilede-France se déroule à l’Hôpital de Ville-Évrard, une journée par mois, le vendredi, avec un programme d’octobre 2024 à juin 2025.

1- Une présentation
Un psychanalyste (D. Laurent, F. Leguil, Y.-C. Stavy) s’entretient avec un patient hospitalisé.

2- Élucidation de la pratique
La construction d’un cas présenté par un participant avec le commentaire d’un enseignant et un débat. Si vous voulez proposer un cas de votre pratique, faites-le dès maintenant.

3- Un cours :
« Diversité des Dépressions : Tristesse, inhibition, morosité, déprime »

Diversité des Dépressions :
Tristesse, inhibition, morosité, déprime

La journée de Ville-Évrard

Que le terme de dépression aille jusqu’à se substituer à celui de folie dans le discours commun contemporain suffirait à susciter notre intérêt, conduisant les  enseignants des Sections cliniques à travers leurs coordinateurs à choisir ce thème pour mettre au travail l’effet de cette épidémie signifiante. La psychiatrie, en décidant qu’il s’agissait d’une entité nosographique qui offrait des bases scientifiques à ses prescriptions, avec un tableau clinique assez simple où anhédonie, troubles du sommeil ou de l’appétit, douleur morale en constituaient le cadre, épisode pathologique dont on peut prédire la durée, sous forme d’une crise ou d’un état passager jusqu’à sa résistance devant l’inefficacité d’un traitement pharmacologique bien prescrit et bien suivi. Les neurotransmetteurs donnent la clé neurobiologique de cette approche, dévaluant du même coup toute implication subjective orientant de fait toute la discipline vers le cognitivo-comportementalisme au mépris de l’histoire qui fut la sienne dans l’approche des psychoses en particulier.

Pour la psychanalyse, la dépression n’est pas une entité mais au mieux un affect qui peut dominer un temps la vie d’un sujet, l’amener à rencontrer un psychanalyste, ou accompagner des moments de la cure, jusqu’à sa fin si l’on se souvient du «  maniaco-dépressivement  »1 qui pouvait accompagner le moment de passe, souligné par Lacan.

Nous sommes bien éloignés du succès du terme de bipolaire qui a chassé celui de psychose maniaco-dépressive, comme le regrettait Augustin Menard2, et qui trouve une extension de son usage jusqu’à tenter de nommer ainsi les petites variations de l’humeur qui affectent les uns et les autres face au réel de l’existence.
Dans la revue de l’ECF n° 35 «  Silhouettes du déprimé  »3 plusieurs articles interrogent ce qui pourrait rendre compte de cette expansion de l’usage de la dépression. Ils s’emploient à repérer chez Freud et chez Lacan en quoi l’affect de tristesse peut virer à la dépression chez le névrosé, au trouble de l’humeur, à la mélancolie chez le sujet psychotique.

Dans son article «  Les affects dans l’expérience analytique »4, Jacques-Alain Miller déploie l’affect comme une catégorie de ce qui touche au réel chez le sujet car « le langage n’arrive pas à donner sa place au réel, c’est même ce qui constitue le réel comme tel ». En nous proposant de « vérifier l’affect  », Lacan nous indique de faire vrai cet affect c’est-à-dire en quoi, «  l’affect est effet de vérité. » Il s’agit dit Jacques-Alain Miller, du nœud entre signifiant, Autre et jouissance, car il s’agit du corps dans l’affect. Ceci doit nous guider dans l’approche des dépressions en tant que la tristesse est relative au savoir, un savoir manqué, rejeté, sur la jouissance soit le réel, note Marie-Hélène Brousse5.

Pour la psychanalyse la dépression ne peut s’aborder sans s’orienter à partir du désir et de ses causes, les objets a, selon Lacan. Ce qui implique en plus du diagnostic de structure, névrose, psychose et perversion, une approche par le nouage des trois dimensions (R,S,I) comme Lacan le note dans son dernier enseignement.

Dans la névrose, l’objet est en fonction de cause et la difficulté à consentir à sa perte de toujours teinte la dépression. Dans la psychose, l’objet n’étant pas séparable, il peut menacer le sujet de son ombre comme dans la mélancolie indiqué par  Freud dans  Deuil et mélancolie,  texte fondateur.
Il s’agira, au long du cours de cette année de décliner ces différents versants de l’expression de ces affects et de repérer en quoi tristesse n’est pas dépression qui n’est pas non plus mélancolie et quelle place peut-on y reconnaitre dans la paranoïa, la schizophrénie ou l’autisme. Quelle place donner au risque de passage à l’acte dans des pratiques institutionnelles où domine chaque jour un peu plus la menace de judiciarisation des pratiques. La morosité, l’humour et l’irone trouveront une place dans notre déclinaison des rapports du sujet à la pulsion de mort, à son désir. Car c’est ce point qui apparait central. Sommes-nous dans l’expression des affects en lien avec le désir (rapport du sujet à l’objet à travers le fantasme) avec cette expression si évocatrice de lâcheté morale ou dans le registre du trouble de l’humeur quand domine un rapport non voilé à la jouissance qui menace l’ancrage symbolique du sujet ?

L’affect dépressif est une des modalités de cette rencontre avec l’objet, et donc, avec le mode de jouissance. Si les sujets contemporains y sont si sensibles6 (Lacan dans Télévision, page 53-54) cela ne tient-il pas à l’égarement et à la précarité de notre mode de jouissance contemporain, qui, désormais ne se situe que du plus de jouir ».

D’où cette précarité de notre mode de jouissance qui non seulement ne se situe plus désormais que du plus-de-jouir, mais d’un plus-de-jouir de surcroît. En choisissant de récupérer le plus-de-jouir au prix de son désir, les affects dépressifs en seront l’index. L’usage du signifiant gourmandise pour qualifier le surmoi prolonge l’apport freudien quant aux effets sur le malaise dans la civilisation. Le texte de Jean-Pierre Deffieux «  la position dépressive  »7 donne le ton de cette approche d’une clinique au présent et la lecture en est recommandée pour introduire l’année.

Jean-Daniel Matet

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1. Lacan, J., L’Etourdit, Autres Ecrits, Le Seuil, Paris, p. 487.
2. Menard, A. Troubles bipolaires et psychose maniaco-dépressive,UFORCA- Ironik n°31
3. Revue La Cause du désir, ECF, n°35, 1997.
4. Miller, J.-A., « Les affects dans l’expérience analytique », La Cause du désir, ECF n°93, 1986.
5. Brousse, M.-H., introduction au thème de l’année, le 14 septembre 2024, Uforca-PIDF.
6. Lacan, J. Television, Autres Ecrits, Seuil, Paris, p. 53-54.
7. Deffieux, J.-P., La posion dépressive, La clinisue du présent avec Jacques Lacan, Le Paon, Le Champ freudien Editeur, UFORCA pour l’Université Jacques Lacan, Paris, 2024, p. 93-10.