LA JOURNÉE DE VILLE-ÉVRARD

Symptômes et structures dans les folies contemporaines

Réintroduisons volontairement le terme de folie quand la construction freudienne avec la structure née de la répartition œdipienne a imposé névrose, psychose et perversion. Freud cherchait une rigueur scientifique pour cette nouvelle médecine qu’était la psychanalyse. Lacan avait renforcé le répartitoire en lui donnant sa raison dans le langage et les structures de la parenté. L’aspiration à relire le classement des paranoïasI « Si j’ai si longtemps résisté à la republication de ma thèse, c’est simplement pour ceci : c’est que la psychose paranoïaque et la personnalité comme telle n’ont pas de rapport ; simplement pour ceci, c’est parce que c’est la même chose. »

« Qu’est-ce qu’un aliéné authentique ? », se demande Antonin Artaud. Il répond : « Un homme qui a préféré devenir fou plutôt que de forfaire à une certaine idée supérieure de l’honneur humain », rejoignant l’Eloge de la folie d’Erasme au XVI ème siècle.

En introduction à l’article de Jean-Pierre Deffieux, « Les fous raisonnants », Jacques-Alain Miller nous recommande la lecture de Sérieux et Capgras pour la phénomenologie qui s’y déploie et qui, en mentionnant l’ombre portée de l’Autre méchant, montre quel usage théorique nouveau il peut en être fait.

Les efforts de Lacan pour nous inciter à articuler phénomènes et structures n’ont pas conduit à l’abandon de l’ancienne terminologie de folie, fou ou folle, qui appartient aujourd’hui au langage parlé en dehors de la préoccupation scientifique. Si le qualificatif fleurit dans les cours d’école, reconnaissons que les tableaux des maîtres en psychiatrie restent explicites : folies circulaires, folies à deux, folies passionnelles, etc.

Dans son dialogue avec Henry Ey,II avec lequel Lacan marque sa différence à propos de la liberté, il rappelle l’inscription en salle de garde de Ste Anne du « Ne devient pas fou qui veut ».

Le mécanisme interprétatifiii est un bon indice de ce qui brouille la différence radicale entre normal et pathologie, ce qui distinguerait le fou.

Celui-ci « ne diffère en rien de ce que l’on observe à l’état normal », écrivent Sérieux et Capgras, pour lesquels le penchant aux interprétations erronées est un phénomène ordinaire. Autrement dit, le malentendu est de structure. L’aveuglement passionnel, par exemple, pousse à interpréter. Nos auteurs font là référence à Stendhal et à la « cristallisation de l’amour », soit « l’opération de l’esprit, qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l’objet aimé a de nouvelles perfections ».III

Après Le Séminaire sur Joyce, le dernier enseignement de Lacan ouvre la voie de la généralisation de la forclusion du Nom du Père et donc du « tout le monde est fou, tout le monde délire ».

Après « Les psychoses ordinaires » et « Retour sur les psychoses ordinaires », J.-A. MillerIV tirera les conséquences pour la clinique contemporaine.

Témoin d’un nouvel abord de la clinique, clinique floue par rapport à ce qui aurait été une clinique dure, spécialement celle de la psychose du Président Schreber qui a fait le socle d’une clinique type « phénomènes et structure ». Il reste indispensable d’en passer par là pour transmettre ce qui fait l’intangible de la structure et la richesse des phénomènes dans une clinique discontinuiste, bruyante, au déclenchement net, qui brise l’existence d’un sujet et le confronte à la nécessité de soins psychiatriques. C’est en cherchant à rendre compte de la clinique quotidienne du psychanalyste dans le cadre des rencontres UFORCA que J.-A. Miller, par le biais de la surprise s’opposant à la routine, nous proposa ce terme de psychose ordinaire. Bien qu’elle ne soit l’objet d’aucune définition nosologique précise, elle vient dire, par l’invention d’une expression, une série de phénomènes en continuité avec ce qui fait l’existence du sujet et ne se signale que sous des formes discrètes, sensibles à l’oreille, comme l’a noté Pierre NaveauV, épisodes transitoires de transfert négatif. L’expression de brouillard saisie dans une observation d’Hervé CastanetVI pour dire un décalage de la réalité décrit par ce sujet qui peut par ailleurs se présenter comme un névrosé « normal ».

« Des psychotiques plus modestes, qui réservent des surprises, mais qui peuvent …se fondre dans une sorte de moyenne : la psychose compensée, la psychose supplémentée, la psychose non déclenchée, la psychose médiquée, la psychose en thérapie, la psychose en analyse, la psychose qui évolue, la psychose sinthomée – si l’on peut dire. »VII Psychotique et normal ne font plus exception à la réalité, rejoignant l’effort de Lacan dans « Propos sur la causalité psychique », pour faire entendre au psychiatre qu’il n’est pas d’essence différente du fou qu’il traite puis le souligne de nouveau à la fin de son enseignementVIII.

Un verrou se levait qui permettait de parler autrement des cas rencontrés, de ces moments privilégiés où le bien-dire nomme un réel aussi près que possible pour en faire valoir des faces inaperçues. Le risque en serait d’oublier la clinique discontinuiste, essentielle non seulement pour la transmission d’un enseignement de clinique psychanalytique (dans les Sections cliniques en particulier), mais surtout pour approcher une clinique où transformation du corps, délire après déclenchement, passage à l’acte ne pourraient se lire sans cet abord de la clinique lacanienne. La facilité que constituerait le fait de faire passer toute la clinique des psychoses du côté des psychoses ordinaires se heurterait aux effets d’un mésusage diagnostique.

La discrétion de la psychose joycienne par rapport à l’œuvre de Joyce, l’évocation des maladies de la mentalité, furent autant de tentatives faites par Lacan pour approcher une clinique des psychoses contemporaines, illustration, s’il en est, du besoin de permettre au discours psychanalytique d’approcher un réel de la clinique contemporaine.

C’est un enjeu majeur pour la psychanalyse lacanienne qui n’abandonne pas le terrain clinique aux modes récurrentes des thérapies plus ou moins médicalisées, soutenant ainsi sa responsabilité dans l’approche par la parole des symptômes psychiques les plus ravageants.

Les folies ordinaires que nous évoquerons cette année sont celles de l’excès, excès dans l’usage des réseaux sociaux, des écrans, des toxiques, de l’alcool, du sexe, qui accompagnent la montée au zénith de l’objet a dans les sociétés à économie libérale où le capitalisme règne en maître sur les échanges sociaux et les discours. Excès aussi des comportements, déferlement d’une jouissance exposée, non tempérée, des corps et des États comme la reprise de la guerre en Europe en témoigne. En prendre la mesure dans la clinique à la lumière des derniers développements de Lacan et des conséquences tirées par J.-A. Miller nous orientera.

Jean-Daniel Matet


I Lacan J., « Structure des psychoses paranoïaques », La semaine des hôpitaux de Paris, no 14, juillet 1931, p. 437-445, republié in Ornicar ?, no 44, 1988, p. 5-18.
II Lacan, J., « Propos sur la causalité psychique », Ecrits, Paris, Seuil, p. 176.
III Deffieux, J.-P., « Les fous raisonnants », La Cause freudienne n° 74, p. 183-200.
IV Miller, J.-A., « Effet retour sur la psychose ordinaire », Quarto, n°94-95, p. 40 – 51.
V Naveau, P., Conférence à Nantes en 2010.
VI Castanet, H.,, « Un sujet dans le brouillard », in IRMA, La Conversation d’Arcachon. Cas rares : Les inclassables de la clinique, (1997), Paris, Agalma/Seuil, 2005, p. 21-23
VII Miller, J.-A., La psychose ordinaire, La convention d’Antibes, Agalma, Le Seuil 1999
VIII Miller J.-A., « Clinique floue », op. cit., p. 230

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