Présentation – ADULTES ADDICTS
ADULTES ADDICTS
INTERFERENCES DE LA JOUISSANCE DANS LES PSYCHOSES
Il y a deux sens dans notre titre : « Interférences de la jouissance » : génitif subjectif ou objectif. D’une part, la jouissance produit des interférences dans l’homéostasie du vivant. Et non seulement le sujet a affaire avec ces interférences, mais il en est le produit même. Mais lorsqu’elles débordent ses capacités de représentation, elles peuvent mener à une déstabilisation. Elle s’étend de l’énigme de la sexualité qui s’éveille au morcellement corporel, patent dans la schizophrénie. À l’inverse, un remaniement de l’ordre symbolique qui fait l’atmosphère du sujet peut conduire à des bouleversements de son régime de jouissance : ce peut être pour le meilleur – une bonne rencontre – ou pour le pire, lorsque, confronté à un défaut de signification, l’Autre du sujet prend l’initiative dans le déclenchement d’une psychose – dont la paranoïa. Si l’on peut lire les interférences de la jouissance dans ces deux sens, c’est qu’elle est, par essence, interférence.
Dans tous ces bouleversements des rapports du sujet à son corps et au corps social, les variations de l’humeur peuvent être discrètes ou spectaculaires. Le discours psychiatrique contemporain rêve d’en faire des maladies à part entière mais elles ne sont que des phénomènes de frange. Elles ne peuvent donc être traitées sans prise en compte de leur cause. Cette cause, c’est l’interférence. Or, des interférences, il y en a toujours plus.
Nos existences sont en effet de plus en plus conditionnées par les appareillages produits par la science. Ils déferlent et interfèrent avec le régime ordinaire de jouissance. Il s’agit de l’homme augmenté, comme le disait Baudelaire à propos du haschich et de l’alcool. L’homme augmenté l’est aujourd’hui, au-delà des drogues, par toutes sortes de prothèses. Elles n’appareillent pas seulement notre corps, nos sens, mais aussi le mental, déjà arraisonné avec l’Intelligence Artificielle… Demain avec des puces ?
Or l’addiction, c’est la nécessité : est addictif ce qui prend une place dans l’économie de jouissance d’un sujet : pour pasticher le premier Lacan : n’est pas addict qui veut. La disruption produite par ces jouissances nouvelles se substitue à celles du corps propre et dessine des bords pulsionnels inédits qui découpent les corps et morcellent le corps social. Ce qui justifie nos institutions d’exister, à mesure que se produit l’archipélisation des individus pris en charge par la technique et des normes désormais relativisées.
Si la paranoïa et la schizophrénie ont pu être lues en 1980 par Jacques-Alain Miller comme rendant compte de différentes localisations de la jouissance, le dernier et Tout dernier enseignement de Jacques Lacan obligent à considérer de manière plus ample les arrangements qu’on sujet peut trouver avec celle-là. Des arrangements sinthomatiques à la manière de l’égo réparateur de Joyce, des nouages tenue à-travers des nominations symboliques ou imaginaires, des épissures d’un des trois registres permettant au nœud de tenir. La clinique lacanienne permet de repérer l’inventivité et l’élégance des solutions que les sujets contemporains peuvent mettre en jeu.
